Quand la Justice abandonne la logique…C’est l’État de droit qui vacille.

Quand la Justice abandonne la logique … C’est l’État de droit qui vacille.

Dans mon dernier article intitulé « Pour lire et comprendre le jugement de Nicolas Sarkosi III – la Jurisprudence de la Cour de Cassation sur l’association de malfaiteurs » , j’ai mis le  Post-Scriptum suivant :

PS: Pour ceux qui ont lu , comme moi, le texte complet de ce jugement ils ont sans doute étaient surpris par cet énoncé page 358 : » Le soin particulier que Claude GUEANT et Brice HORTEFEUX ont mis à présenter Nicolas SARKOZY comme étant étranger à ce processus corrobore au contraire le fait qu’il en était parfaitement informé. »
C’est vraiment étonnant, n’est-ce pas? Je dirais même inquiétant de croire que si on exprime quelque chose avec force ou conviction cela signifie que c’est le contraire qui est vrai. Cette assertion est vraiment tiré d’un jugement officiel, je n’ai rien inventé .
 
Le présent article explique pourquoi cet énoncé page 358 est inquiétant. 

 

Quand la Justice abandonne la logique,

Habituée à la lecture des textes juridiques et des décisions de justice, j’ai été profondément frappée par cet énoncé  figurant dans le jugement Sarkosi du 25 septembre 2025, jugement pénal lourd de conséquences puisque un ancien président de la République est condamné à cinq ans de prison.

Ce n’est  pas sa sévérité  qui m’a frappée, encore moins le fait que la défense y soit examinée avec suspicion, ce qui n’ a rien d’anormal dans un procès – C’est un énoncé dans l’argumentaire de la page 358 qui peut-être considéré comme un tour de passe-passe intellectuel.

Un jugement tire sa validité, notamment, du principe du contradictoire, au sens plein et substantiel de ce terme : c’est l’exigence que toute affirmation soit examinée, interrogée et confrontée aux faits, aux témoignages, aux documents, à l’enquête avant d’être retenue ou écartée. C’est cette confrontation au réel qui fonde la solidité d’une décision judiciaire. 

Or dans l ‘énoncé en cause de la page 358, cette étape disparait : le réel est déduit directement du contraire de la parole du prévenu .

« Le soin particulier que Claude GUEANT et Brice HORTEFEUX ont mis à présenter Nicolas SARKOZY comme étant étranger à ce processus corrobore au contraire le fait qu’il en était parfaitement informé. » page 358

Il n’y a pas d’examen approfondi des déclarations, pas de confrontations méthodiques, pas d’enquête venant éprouver la parole.

A la place, s’installe un principe implicite, jamais justifié mais décisif : le prévenu affirme, donc c’est le contraire qui est vrai.  Au lieu de considérer, après examen, que la défense serait mensongère ou peu crédible, le principe énoncé pose, en amont de tout examen, que l’affirmation elle-même vaut preuve inverse.

Ce principe ne relève ni du droit, ni de la logique, ni même d’un raisonnement défaillant. Ce n’est pas une erreur de logique. C’est un abandon de la logique.

A partir du moment où ce principe est appliqué, la défense devient structurellement impossible. Quelle que soit l’attitude adoptée – affirmer, insister, se taire ou coopérer- elle est neutralisée par le même mécanisme ; ce qui est déclaré n’est pas examiné, mais seulement inversé. Or cette inversion automatique est arbitraire.

La défense n’est pas rejetée : elle est piégée.

Ce mécanisme relève d’une pensée magique : le signe produit un effet sans médiation rationnelle. Le principe s’impose sans démonstration. L’examen devient inutile. L’innocence n’est pas réfutée : elle devient impossible. La présomption d’innocence n’est pas seulement violée, elle est anéantie par un tel principe.

 Soyons clair :Affirmer A, ne permet pas d’établir automatiquement non -A comme fait réel. Par ailleurs, en droit, aucune règle n’autorise qu’une déclaration vaille preuve inverse par elle-même. Ce mécanisme d’inversion relève d’un autre registre que celui de la logique et de la raison : c’est le registre de la pensée magique et on peut s’inquiéter, à bon escient, de le voir apparaître dans l’argumentaire d’un jugement.

Abracadabra: le prévenu affirme ceci, donc c’est le contraire de ce qu’il dit qui est  vrai. Abracadabra : les témoins affirment cela, en conséquence  cela corrobore que c’est le fait contraire qui est réel.

A cet instant précis, la Justice cesse de penser rationnellement. Elle n’examine plus, elle n’enquête plus, elle ne raisonne plus. Elle se contente d’une formule magique. 

Un jugement est valide parce qu’il repose sur un chemin intellectuel reliant la parole au réel, selon des procédures rationnelles  éprouvées. Lorsque ce chemin est rompu, lorsque l’examen est remplacé par une inversion automatique –  une inférence validant  a priori le fait contraire – cette validité devient caduque.

Ce n’est plus seulement un dysfonctionnement ponctuel. Il s’agit d’un effondrement intellectuel de la Justice. Et les citoyens peuvent s’inquiéter.

C’est l’État de droit qui vacille.

Ce qui est terrifiant, ce n’est pas une erreur de jugement, mais la possibilité que des juges se mettent à fonctionner selon un automatisme où la parole de défense n’est plus examinée,  et où la culpabilité est  déduite d’une formule d’inversion de la parole. 

Les formes restent : audience, débats, jugement motivé, vocabulaire juridique. Mais toute substance a disparu :

Le raisonnement est remplacé par une mécanique. La preuve par une inversion. Et l’examen du réel par une décision déjà prise.

  » Vous dites cela en conséquence c’est le contraire qui est vrai. « 

 » Il insiste autant pour dire qu’il ne savait pas,  donc cela corrobore au contraire le fait qu’il savait.

C’est le contraire de ce que est dit qui devient pour le juge le critère de la réalité des faits, la mesure de leur existence. Voilà la formule magique dont va se  parer le jugement.  Le simple fait de dire A équivaut à corroborer le fait contraire de A.  Et voilà le tour est joué !

Une telle absence de rationalité détruit toute possibilité de défense, quelle que soit la situation du justiciable. L’exercice effectif des droits de la défense devient impossible. La Justice ne pense plus, elle fonctionne comme un réflexe aveugle. Si ce réflexe s’installe, s’il fait jurisprudence, il devient reproductible, transmissible, invisible à force d’être répété, La parole de la défense  sera alors interprétée comme le signe évident de la culpabilité. On savait qu’il pouvait exister, malheureusement, des enquêtes ou des procès à charge. On n’imaginait pas qu’un jour une formule puisse en codifier l’emploi.

Lorsque le  principe substantiel du contradictoire et des droits de la défense font naufrage,  c’est  l’ État de droit tout entier  qui vacille.

 

 

POUR LIRE ET COMPRENDRE LE JUGEMENT DE NICOLAS SARKOSI :

-I- LA NOTION DE PACTE CORRUPTIF EN DROIT FRANCAIS https://mariechristineaubert.com/index.php/pour-lire-et-comprendre-le-jugement-de-nicolas-sarkosi-i-la-notion-de-pacte-corruptif-en-droit-francais/

II- LA NOTION D’ASSOCIATION DE MALFAITEURS EN DROIT FRANCAIS  https://mariechristineaubert.com/index.php/pour-lire-et-comprendre-le-jugement-de-nicolas-sarkosi-ii-la-notion-dassociation-de-malfaiteurs-en-droit-francais/

III – LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION SUR L’ ASSOCIATION DE MALFAITEURS  : https://mariechristineaubert.com/wp-admin/post.php?post=1101&action=edit